Pour se rendre à Ventura Film, il faut quitter l’autoroute à Mendrisio, dépasser l’enchevêtrement de bretelles d’accès et de hangars industriels qui jonchent la Campagna Adorna, puis emprunter la route menant aux quartiers de la Montagna pour atteindre Meride, un village de trois-cents âmes en plein cœur de la nature. Le bureau d’Elda et Andres est aussi leur lieu de vie. C’est ici qu’ils ont vécu et travaillé trois décennies durant, et qu’ils ont produit environ quatre-vingt films : des premiers films, des courts et des longs métrages, des documentaires, des histoires pour le cinéma et la télévision, projetés dans des festivals et sur les ondes hertziennes du monde entier.
Je ne sais pas pourquoi Andres est devenu producteur, il ne me l’a jamais dit. Il a débarqué au Tessin dans les années 80, après des études d’histoire et de philologie romane à l’université de Zurich. Il avait travaillé comme photographe de scène, distributeur et directeur de production. 1988 est l’année de son premier film en tant que réalisateur, « Mario Botta – Sans lumière, pas d’espace », suivi de « Point de vue » en 1991, réalisé avec Bernhard Lehner. C’est également l’année où il fonde Ventura Film, fraîchement diplômé EAVE et fort de la complicité d’Elda. Nos routes se croiseront quelques mois plus tard, alors qu’il commence la préparation de « Terre brûlée », son premier long métrage de fiction en tant que réalisateur et producteur.
À l’époque, le cinéma indépendant au Tessin était animé par une poignée de pionniers talentueux et enthousiastes. Les productions étaient rares, et les possibilités d’un financement ne serait-ce que convenable étaient réduites au minimum. Il y avait un grand besoin d’y croire, et Andres a investi toute son énergie dans cette aventure, dans un métier qui peinait encore à s’affirmer et à être reconnu à sa juste valeur. Comme tous les producteurs, il avait deux casquettes : une pour les budgets, et l’autre pour les contenus. Il savait dénicher les points critiques d’un projet, ceux que l’on évite souvent de reconnaître comme tels, parce que trop conflictuels ou trop difficiles à résoudre, et il insistait toujours pour comprendre et approfondir le sens d’une histoire ou d’un thème. Même dans le domaine de la politique cinématographique, il pouvait être particulièrement têtu : il a lutté pour introduire au Tessin le fonds Film Plus, un outil de financement devenu essentiel, et ce malgré les doutes et les hésitations émanant d’une partie de la branche.
Andres a investi toute son énergie dans cette aventure, dans un métier qui peinait encore à s’affirmer et à être reconnu à sa juste valeur.
Avec Andres, on pouvait parler de tout. Enfin, on pouvait parlait de cinéma, et en parlant de cinéma on finissait par parler de tout. C’était un homme de peu de mots. Il avait une façon bien à lui d’engager une conversation et de la continuer, alors même qu’on était tous persuadés d’avoir fait le tour du sujet et de l’avoir convaincu. Son apparence détachée masquait une véritable passion. Quand il travaillait encore pour la RSI, je venais souvent pour des questions de travail au bureau de la Ventura à Meride, où Elda et Andres « cuisinaient » dossiers et plans de financement, en coordonnant équipes de tournage et montages, castings et recherches, candidatures à des festivals et récompenses cinématographiques. On parlait travail, puis on passait du bureau à la vraie cuisine, celle où Elda et Andres se défiaient aux fourneaux. Tout en mangeant et buvant, on recommençait à parler de tout, ou plutôt : des films passés, des films à venir, des films à inventer.
À l’origine de son désir de devenir producteur, je soupçonne un conseil de Leo Pescarolo, grand producteur et gastronome italien. Il l’avait rencontré à la formation EAVE et il lui avait dit : « Si tu comptes faire des films pour devenir riche, tu peux laisser tomber. C’est un métier qui ne fait qu’appauvrir. Mais si tu aimes la cuisine, alors c’est autre chose. On mange toujours bien et les occasions ne manquent jamais ».
Nous nous sommes un peu perdus de vue quand j’ai changé de travail. Mes visites à Meride se sont espacées, et les années ont filé sans que personne s’en aperçoive. C’est toujours comme ça que ça se passe. Et puis tout à coup, quelque chose d’inattendu se produit et tu te retrouves à devoir faire face, à devoir regarder en arrière. Je l’ai eu au téléphone, pendant son interminable séjour à l’hôpital. Il avait beau être fatigué, épuisé par les traitements, il continuait de réfléchir aux choses qu’il devait faire, aux choses qu’il aurait voulu faire. Soudain, il m’a interrompu : Elda venait de lui apporter le journal, et il voulait lire sans attendre la critique d’un de leurs films qui venait de sortir en salle. C’est avec un autre grand film que Soleure rend hommage à ce producteur passionné : « Le quattro volte », de Michelangelo Frammartino. Certes, le catalogue Ventura contient une multitude d’œuvres et d’auteurs dont il était proche, mais ce film est le témoignage d’un courage et d’une vision tout à fait particulière. Avec ses images mesurées, sa bande originale faite de vent, de bêlements de chèvres et de rares tintements de cloche, « Le quattro volte » nous parle de la vie, de notre place dans ce voyage qui n’est jamais infini ; il nous aide à réfléchir, avec grâce et humour, à nos inévitables solitudes.
Texte en langue originale:
Omaggio a Andres Pfaeffli
Per andare alla Ventura Film bisogna uscire dall’autostrada a Mendrisio, superare il nodo di svincoli e capannoni industriali che puntellano la Campagna Adorna e poi prendere la strada che va verso i quartieri della Montagna, fino a Meride, un villaggio di trecento anime immerso nel verde. L’ufficio di Elda e di Andres è anche la loro casa. Qui hanno vissuto e lavorato per tre decenni e qui hanno prodotto un’ottantina di film: opere prime, cortometraggi, lungometraggi, documentari, storie per il cinema e per la televisione, approdate nei festival e sulle onde hertziane di tutto il mondo.
Perché Andres sia diventato produttore, non lo so. Non me l’ha mai detto. Era sbarcato in Ticino negli anni ottanta, dopo gli studi di storia e romanistica all’Università di Zurigo. Aveva lavorato come fotografo di scena, distributore e direttore di produzione. Nel 1988 è arrivato il suo primo film come regista: «Mario Botta - Senza luce, nessuno spazio», seguito da «Point de vue», del 1991, realizzato con Bernhard Lehner. Proprio quell’anno, fresco di diploma EAVE e con la complicità di Elda, ha aperto la Ventura Film. Le nostre strade si sono incrociate pochi mesi dopo quando, come regista e produttore, ha iniziato a preparare il suo primo lungometraggio di finzione, «Terra bruciata».
Il cinema indipendente in Ticino, in quegli anni, era animato da un manipolo di pionieri talentuosi ed entusiasti. Le produzioni erano rare, e le possibilità di un finanziamento perlomeno adeguato erano ridotte al lumicino. C’era un grande bisogno di crederci e Andres ha investito tutte le proprie energie in quell’avventura, in un mestiere che ancora faticava ad affermarsi e a essere adeguatamente riconosciuto. Come tutti i produttori, aveva due teste: una per i budget e l’altra per i contenuti. Sapeva scovare i punti critici di un progetto, quelli che spesso evitiamo di riconoscere come tali perché conflittuali o troppo difficili da risolvere, e insisteva per capire e approfondire il senso di una storia o di un tema. Anche nell’ambito della politica cinematografica poteva essere parecchio testardo: ha lottato per introdurre Film Plus in Ticino, uno strumento di finanziamento diventato essenziale, e questo malgrado i dubbi e le esitazioni di una parte della branche.
Andres ha investito tutte le proprie energie in quell’avventura, in un mestiere che ancora faticava ad affermarsi e a essere adeguatamente riconosciuto.
Con Andres si poteva parlare di tutto. O meglio, si poteva parlare di cinema, e parlando di cinema si finiva per parlare di tutto. Non è mai stato di molte parole. Aveva un suo modo di iniziare un discorso e un suo modo di portarlo avanti, anche quando tutti pensavano di aver ormai esaurito ogni argomento e di averlo convinto. C’era una passione vera che covava sotto quel suo aspetto di apparente distacco. Quando ancora lavoravo alla RSI sono stato spesso in visita di lavoro nell’ufficio della Ventura a Meride, dove Elda e Andres «cucinavano» dossier e piani di finanziamento, coordinando équipes di ripresa e montaggi, castings e ricerche, candidature ai festival e prime cinematografiche. Si parlava di lavoro e poi, dall’ufficio, si passava alla cucina vera e propria, dove Elda e Andres si sfidavano ai fornelli. Mangiando e bevendo si ricominciava a parlare di tutto e cioè: dei film già fatti, di quelli da fare e di quelli ancora da inventare. Ho il sospetto che parte del suo desiderio di diventare produttore sia legato a un suggerimento di Leo Pescarolo, un grande produttore e gastronomo italiano. Lo aveva incontrato durante i corsi EAVE e gli aveva detto: «Se vuoi fare film per diventare ricco, scordatelo. Questo mestiere non fa che impoverirti. Ma se ti piace la cucina, allora è un altro discorso. Si mangia sempre bene e le occasioni non mancano mai».
Quando ho cambiato lavoro ci siamo persi un po’ di vista. Le visite a Meride si sono diradate. Parecchi anni sono volati via e nessuno se n’è accorto. È sempre così. Poi, improvvisamente, succede qualcosa che non ti aspetti, e allora sei costretto a fare i conti, a guardarti indietro. L’ho sentito al telefono, durante la sua infinita degenza in ospedale. Era stanco, sfinito dalle cure, eppure aveva sempre un pensiero rivolto alle cose da fare e a quelle che, ancora, avrebbe voluto fare. A un certo punto mi ha interrotto. Elda gli aveva appena portato il giornale e lui voleva leggere subito la recensione di un loro film appena uscito nelle sale. Soletta rende omaggio a questo produttore appassionato con un altro grande film: «Le quattro volte», di Michelangelo Frammartino. Nel catalogo Ventura sono molte le opere e gli autori a cui era vicino. Questo film è però la testimonianza di un coraggio e di una visione del tutto particolare. Con le sue immagini misurate, con la sua colonna sonora fatta di vento, del belato delle capre e di pochi rintocchi di campana, «Le quattro volte» ci parla della vita, del nostro posto in questo viaggio che non è mai infinito, e ci aiuta a riflettere, con grazia e humour, sulle nostre inevitabili solitudini.