Pour avoir réussi à créer un univers, autant physique que relationnel, crédible, nuancé et complexe. Avec une étude des personnages qui révèle une sensibilité peu commune et une habileté à les faire exister à l’écran avec respect et dans une grande capacité de synthèse ; en faisant incarner à ces personnages une rage silencieuse face au destin tragique qui les bouleverse, à travers des non-dits qui racontent la profondeur de leurs sentiments. Pour avoir eu l’intelligence de nous raconter cette histoire forte et dramatique dans une dynamique de situations, pour la force tellurique de ces visages qui expriment leur détresse sans jamais nous l’imposer. Pour la cohérence et la solidité de l’approche visuelle, autant raffinée et stylisée qu’accessible, qui permet au film de rester toujours en équilibre entre un développement narratif maîtrisé et une atmosphère envoûtante, pertinente et brillamment construite :
Le Prix de la Compétition Opera Prima 2021 est attribué à l’unanimité du jury à :
VON FISCHEN UND MENSCHEN de Stefanie Klemm
« VON FISCHEN UND MENSCHEN » est un film silencieux qui ne parle pas de grands problèmes politiques mondiaux ou de crise globale, mais de la tragédie personnelle d'une famille. L'accent est mis sur le sort individuel des personnages et la façon dont ils gèrent cette tragédie dans leur vie quotidienne. Les protagonistes sont pris au piège de leur passé et de leurs dilemmes personnels. Ils recherchent la consolation dans la nature, tentent de prendre un nouveau départ dans un cadre à la fois idyllique (le Jura suisse) et brutal (une ferme piscicole), et transcendent leur condition dans le travail acharné avec les animaux.
En raison de l'isolement du lieu, ils sont repliés sur eux-mêmes et sur leurs relations avec les autres. Mais ils prennent conscience que le passé peut les rattraper, ici aussi.
La tragédie qui les réunit leur permet de faire face à leurs pulsions destructrices pour ne pas être écrasés par le chagrin : la vengeance pour Judith, la culpabilité pour Gabriel. Deux sentiments rendus de manière pudique et délicate grâce une direction d’acteurs très maîtrisée qui permet aux deux comédiens principaux de livrer une formidable interprétation : Sarah Spale et Matthias Britschgi sont extraordinaires de vérité et d’authenticité.
L'approche quasi documentaire de la caméra donne au spectateur l’impression de coller aux protagonistes pour être très proche d'eux. Le film trouve son rythme dans un montage patient, qui s'intensifie de manière imperceptible, mais fatidique, jusqu’à s’approcher du point de rupture, celui de la catastrophe. Le film développe ainsi un subtil effet de suspens et une puissance hypnotique qui entraîne le spectateur dans un abîme émotionnel. Jusqu'à ce que le sentiment de claustrophobie et le sentiment de désespoir se manifestent dans les images, comme ces canyons rocheux qui menacent de tomber sur Gabriel et menacent de l'écraser… Tout comme sa culpabilité.
Avec talent, instinct et beaucoup de maturité, la réalisatrice a réussi à tisser un contenu dramaturgique puissant, en donnant à l’image, au son, et à la narration une cohérence d’une grande maîtrise. Le film nous a convaincu également par son honnêteté et son authenticité. L'histoire semble tirée de la vie réelle et prend alors une dimension supplémentaire. Elle permet l'identification avec les protagonistes – et nous rappelle qu’elle aurait pu aussi être la nôtre.